Que trouve-t-on à l’extrémité d’un chromosome ? Le cas d'une petite algue verte

Les extrémités des chromosomes, composées de télomères et de sous-télomères, sont des structures essentielles à l’intégrité du génome. Elles sont cependant très difficiles à étudier car formées de séquences d’ADN répétées. Ces travaux, menés par l'équipe de Zhou Xu (Laboratoire de Biologie Computationnelle et Quantitative) ont été publiés dans la revue Nucleic Acids Research. Dans cet article, les chercheurs utilisent des données de séquençage à lecture longue pour cartographier exhaustivement les sous-télomères de l’algue verte Chlamydomonas reinhardtii et pour identifier des éléments répétés particuliers qui renseignent sur la fonction et l’évolution de ces régions.

Pour les eucaryotes, il est crucial de bien stabiliser l'extrémité des chromosomes. Comme ils sont linéaires, la machinerie qui réalise leur réplication ne peut pas aller jusqu'à leur extrémité et ils ont tendance à se raccourcir à chaque division de la cellule. Une transcriptase inverse très particulière, la télomérase, sait ajouter à l'extrémité du chromosome des répétitions d'une courte séquence (par exemple TTAGGG chez l'Homme) appelées télomères et qui sont reconnues par des protéines spécialisées. Ensemble, elles forment une structure protectrice qui empêche l'extrémité du chromosome d'être reconnue comme une cassure de l'ADN.

Mais les télomères ne sont pas la seule structure importante de l’extrémité du chromosome. La région adjacente, appelée sous-télomère, participe aussi à l’intégrité du génome et à son évolution. Les sous-télomères sont souvent formés de séquences répétées comprenant des transposons, des familles de gènes impliqués dans l’adaptation à l’environnement, des séquences satellites ou encore de l’ADN ribosomique. À cause de leur longueur et de leur structure répétitive complexe, ils sont en général difficiles à séquencer et assembler correctement dans le cadre du génome complet. On n'a pu réaliser cet exploit chez l'Homme que très récemment, grâce au développement de méthodes de séquençage permettant de lire un brin d'ADN sur une très grande longueur.

C'est grâce à des données provenant de ce type de séquençage qu’un groupe de chercheurs français et écossais a pu cartographier et analyser en détails les sous-télomères des 17 chromosomes de Chlamydomonas reinhardtii. Cette petite algue verte unicellulaire, cousine des plantes, sert de modèle expérimental dans de nombreuses études. Ses télomères, en général de quelques centaines de nucléotides, sont constitués d'une répétition TTTTAGGG. À 31 des 34 extrémités chromosomiques, on trouve en aval du télomère non pas des transposons, mais une répétition particulière que les auteurs ont appelé Sultan, pour « SUbtelomeric Long TANdem repeat ». Longue d'environ 850 nucléotides et répétée entre 2 et 46 fois par sous-télomère, elle est présente exclusivement dans ces régions. En aval, on trouve en général un promoteur dirigeant la transcription d'un long ARN non codant vers le centromère, puis soit des transposons, soit des gènes exprimés. Dans certains cas, les chercheurs ont identifié des cicatrices de réparation au niveau sous-télomérique, voire l'apparition entre le télomère et le bloc de Sultans d’autres séquences répétitives complexes. Ils les ont appelés Subtile (“SUBTelomeric repeats of Intermediate Length”) et Suber (“SUBtelomeric Extra-long Repeat”). Ces trois éléments répétés (Sultan, Subtile et Suber) sont associés à des marqueurs d’hétérochromatine, structure condensée de l’ADN jouant ici potentiellement un rôle dans la protection des extrémités des chromosomes.

En poussant plus loin leur investigation de l'origine et de la diversité de ces répétitions, ils ont observé que chaque sous-télomère porte une signature spécifique dans ses Sultans, ce qui indique que la répétition se multiple localement par des duplications en tandem. Les Subtiles et Subers se propagent de la même façon, bien qu'il semble également clair que toutes ces répétitions peuvent sauter d'un chromosome à l'autre, expliquant leur présence à presque toutes les extrémités sauf les trois qui sont constituées de répétitions d'ADN ribosomique. L’organisation des séquences répétées des sous-télomères résulte donc d’une histoire complexe et dynamique, dont les mécanismes et les contraintes évolutives restent encore à explorer.

Qu'en est-il des autres algues ? Les chercheurs ont examiné un éventail d’espèces plus ou moins proches, et à leur grande surprise ils ont observé que si la nature répétitive des sous-télomères semble conservée, chaque espèce utilise une (ou plusieurs) répétition qui lui est propre. Le sous-télomère jouerait-il un rôle dans la spéciation ? C'est ce que le séquençage génomique de divers isolats sauvages de Chlamydomonas reinhardtii devrait bientôt pouvoir révéler.

Cet article a fait l'objet d'une actualité sur le site de l'INSB.

© Frédéric Chaux-Jukic
Figure : Carte des extrémités des 17 chromosomes chez la microalgue modèle C. reinhardtii, établie grâce au séquençage du génome par très long fragments d’ADN et leur assemblage minutieux. Des répétitions télomériques (TTTTAGGG/CCCTAAAA, en noir) coiffent systématiquement chaque bras chromosomique (‘_L’ pour le gauche, ‘_R’ pour le droit). En aval, les « sous-télomères » sont pour la plupart constitués de répétitions d’un nouvel élément spécifique à chaque bras, Sultan (en vert, classes A, B et C) et, plus rarement, également d'autres répétitions, Subtile et Suber (en rose pâle, classe C). Trois sous-télomères sont constitués de répétitions codant pour les sous-unités ARN des ribosomes (rDNA, en violet), couvrant plusieurs millions de paires de bases sur l’extrémité droite des chromosomes 8 et 14. Le symbole ‘//’ indique une représentation tronquée par rapport à l’échelle, indiquée en milliers de paires de bases (kb).
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Equipe dirigée par Zhou Xu (Laboratoire de Biologie Computationnelle et Quantitative) : Telomere and Genome Stability

F. Chaux-JukicS. O’Donnell, R. J. Craig, S. Eberhard, O. Vallon, et Z. Xu, « Architecture and evolution of subtelomeres in the unicellular green alga Chlamydomonas reinhardtii », Nucleic Acids Research, vol. 49, no 13, p. 7571?7587, juill. 2021, doi: 10.1093/nar/gkab534.