Evolution différentielle des levures naturelles et domestiquées par l'homme

Marco Cosentino-Lagomarsino1 et Gilles Fischer2 du LCQB ont participé à une étude réalisée par un consortium dirigé par Gianni Liti (IRCAN, Nice) et regroupant des laboratoires français, anglais et suédois. Publié en avril dans Nature Genetics3, ces travaux utilisent de nouvelles technologies de séquençage de longues molécules d'ADN pour l'assemblage complet des génomes de 7 souches de Saccharomyces cerevisiae et de 5 souches de Saccharomyces paradoxus. Les données obtenues ont permis de définir pour la première fois les limites entre régions internes et terminales des chromosomes et de caractériser les différences de dynamique évolutive entre souches domestiquées et souches sauvages naturelles.

Cela fait plus de 150 ans que le moine Autrichien Gregor Mendel réalisa ses célèbres expériences sur la couleur et la texture des petits pois. Depuis, les scientifiques s'efforcent d'expliquer comment l'information génétique codée dans notre ADN se traduit en traits physiques observables, appelés phénotypes.

Le développement rapide des techniques de séquençage a permis de décoder plus facilement la séquence de nombreux génomes. Pratiquement, on commence par découper l'ADN en millions de petits fragments puis on séquence ces fragments à très grande échelle. Cependant, réordonner ensuite ces fragments de séquences entre eux n'est pas facile, et s’apparente à assembler un immense puzzle avec des pièces manquantes et plusieurs pièces qui peuvent aller au même endroit. De plus, de nombreuses régions dans nos chromosomes sont réarrangées ce qui les rend difficiles, voire impossibles dans certains cas, à assembler avec des séquences de petits fragments d’ADN. De ce fait, une grande proportion de ces régions reste indéterminée alors que de nombreux indices suggèrent qu'elles joueraient un rôle très important dans l'adaptation à l'environnement et la susceptibilité aux maladies.

Le développement récent de technologies de séquençage de longs fragments d'ADN s'est révélé un outil très puissant pour assembler des génomes complets et résoudre correctement les régions complexes et réarrangées. Jusqu’à présent, cette technologie avait été utilisée uniquement à l'échelle de génome de référence unique. Un consortium international dirigé par Jia-Xing Yue et Gianni Liti (IRCAN, Nice) a maintenant porté cette approche à un niveau supérieur. En séquençant les génomes de 12 souches représentatives de la levure de boulangerie (Saccharomyces cerevisiae), partiellement domestiquées par l'homme, et d'une levure apparentée, mais restée à l'état sauvage (Saccharomyces paradoxus), ce consortium a pu reconstruire des génomes entièrement assemblés, d'un bout à l'autre des chromosomes, produisant ainsi le premier jeu de données génomiques de ce type à l'échelle d'une population. En comparant de manière systématique ces séquences génomiques, à la fois entre souches de la même espèce et entre souches de deux espèces différentes, les chercheurs ont pu décrire précisément la dynamique structurelle des génomes dans leur contexte évolutif. Ceci a permis de mettre en évidence des contrastes frappant entre ces 2 espèces de levures, contrastes qui, pour la plupart, peuvent être expliqués par l'association étroite entre la levure de boulangerie et les activités humaines. De plus, les résultats confirment que les régions localisées à proximité des extrémités des chromosomes, appelées régions sous-télomériques, évoluent très rapidement et accumulent de nombreux réarrangements structuraux, et quantifient pour la première fois ce phénomène.

Cette étude fournit la première définition précise de ces régions chromosomiques complexes et illustre leur plasticité évolutive avec un niveau de résolution inédit. Elle montre de plus comment la résolution des réarrangements dans ces régions complexes peut nous éclairer pour comprendre les bases génétiques à l'origine des phénotypes complexes. L'ensemble des données générées par ce travail est mis à la disposition du public et de la communauté scientifique. Les assemblages complets des chromosomes ainsi que leurs annotations serviront de génomes de référence au niveau populationnel. Cette étude pose un nouveau jalon dans le champ de la génomique eucaryote et ouvre la voie à une meilleure compréhension de la relation génotype-phénotype. 

REFERENCE : Yue JX, Li J, Aigrain L, Hallin J, Persson K, Oliver K, Bergström A, Coupland P, Warringer J, Cosentino Lagomarsino M, Fischer G, Durbin R, Liti G. Contrasting evolutionary genome dynamics between domesticated and wild yeasts. Nat Genet. 2017 Jun ; 49(6):913-924

  1. Equipe Génophysique (UMR 7238)
  2. Equipe Biologie des Génomes (UMR 7238)
  3. Contrasting evolutionary genome dynamics between domesticated and wild yeasts

LEGENDE : Reconstitution du bras gauche du chromosome I en 3 régions distinctes, interne (en vert), sous-télomérique (jaune) et terminale (rose), montrant les relations phylogénétiques des 12 souches analysées et la conservation de l'organisation génétique de ces régions.