Contrôle épigénétique de l'homéostasie et de la plasticité du développement

Comment les processus développementaux résistent-ils aux variations génétiques, stochastiques ou de l’environnement, i.e. comment l’homéostasie du développement est-elle maintenue ? Comment l’environnement induit-il des modifications des phénotypes ? i.e. comment la plasticité du développement est-elle contrôlée ? Pour répondre à ces questions, nous combinons description morphométrique d’un organe et analyse de ses transcriptome et épigénome.

Nos travaux suggèrent que ces deux facettes de la variabilité phénotypique sont contrôlées par des mécanismes transcriptionnels épigénétiques.

En utilisant l’aile de drosophile, nous avons découvert deux mécanismes importants dans l’homéostasie du développement. D’une part, Cyclin G, une cycline transcriptionnelle, participe au contrôle des variations stochastiques ; d’autre part, la biogenèse des ribosomes serait stabilisée par l’activité transcriptionnelle de la protéine ribosomique L12. Nous étudions ces processus afin d’identifier les réseaux de gènes qui sous-tendent l’homéostasie du développement.

L’abdomen postérieur des femelles de drosophiles est un modèle d’étude de la plasticité du développement. Un réseau de régulations géniques sensible à la température contrôle la pigmentation dans ce tissu. tan, qui code une enzyme impliquée dans la production de mélanine, est un effecteur majeur de ce réseau. Nous complétons ce réseau afin d’identifier des acteurs de la plasticité du développement.

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Notre équipe s’intéresse aux deux facettes de la variabilité phénotypique, à savoir l’homéostasie du développement (i.e. le maintien du phénotype en dépit de perturbations génétiques, environnementales et stochastiques) et la plasticité du développement (i.e. la capacité d’un organisme en développement à exprimer différents phénotypes à partir d’un même génotype selon les conditions environnementales). L'identification des mécanismes qui sous-tendent l’homéostasie et la plasticité du développement est fondamentale tant en biologie du développement qu’en biologie de l’évolution, la sélection opérant sur les phénotypes. Par ailleurs, homéostasie et plasticité du développement peuvent être des facteurs d’adaptation des organismes à leur environnement. Nos travaux visent à identifier les bases génétiques et épigénétiques de l’homéostasie et de la plasticité du développement chez Drosophila melanogaster. Nous étudions deux organes modèles : l’aile, dont la structure plane et stéréotypée permet une analyse quantitative des variations de taille et de forme, et l’épithélium de l’abdomen postérieur des femelles, dont la pigmentation est très sensible aux variations de température. Nous analysons le transcriptome et l’épigénome de ces organes dans des conditions génétiques et environnementales variées. Nos résultats mettent en évidence un rôle important de l’épigénome dans l’homéostasie et la plasticité du développement. A partir de ces données génétiques et épigénomiques, nous construisons les réseaux de gènes qui sous-tendent l’homéostasie et la plasticité du développement. Nous envisageons ensuite de modéliser ces réseaux pour comprendre les mécanismes de l’’homéostasie et de la plasticité. Nos résultats ont déjà permis de caractériser plusieurs acteurs essentiels de ces mécanismes.

Résultats importants

L’homéostasie de la croissance participe à la robustesse de la taille des organes et est par conséquent fondamentale chez les bilatériens lors du développement d’organes symétriques. Dans ce cadre, nous avons montré l’importance d’une cycline transcriptionnelle, la Cycline G, chez la drosophile1. En effet, l’expression d’une forme potentiellement plus stable de cette cycline augmente l’asymétrie fluctuante des organes, en d’autres termes, diminue la robustesse de leur taille1. Nous utilisons la dérégulation de Cycline G pour rechercher les bases génétiques et épigénétiques du contrôle de l’homéostasie de la croissance. Cycline G interagit avec plusieurs facteurs connus pour façonner l’épigénome. Notamment, elle se lie avec un Enhancer de Trithorax et Polycomb (Corto) et une protéine du complexe Polycomb PR-DUB (ASX)2. Nous avons démontré l’importance de son interaction avec les complexes Polycomb PR-DUB et PRC1 pour l’homéostasie de la croissance3. Par ailleurs, Cycline G et Corto interagissent avec la protéine ribosomique RPL12 qui possède une activité extra-ribosomique et contrôle la transcription4. Ce rôle transcriptionnel est lié à l’interaction directe entre le chromodomaine de Corto et une forme méthylée de RPL12 (RPL12K3me3)4. Cette méthylation pourrait réguler l’activité transcriptionnelle de RPL12 d’où l’intérêt d’identifier l’enzyme déposant cette marque. Nous venons de montrer que dSETD4 pouvait remplir cette fonction. Corto, RPL12 et Cycline G régulent l’expression de gènes impliqués dans la biogenèse des ribosomes. Or, l’asymétrie fluctuante des ailes s’accompagne d’une augmentation de l’expression des gènes impliqués dans la traduction, notamment les gènes codant les protéines ribosomiques, et d’une diminution de l’expression des gènes impliqués dans l’activité mitochondriale et le métabolisme3. Ainsi, nous testons l’hypothèse qu’un réseau centré sur les trois protéines Cycline G, Corto et RPL12 assure l’homéostasie de la croissance en exerçant simultanément un contrôle épigénétique de la biogenèse des ribosomes, de l’activité mitochondriale et du métabolisme. En recherchant les interacteurs génétiques et physiques de ces trois protéines et en testant leur importance pour la symétrie des organes, nous bâtirons progressivement ce réseau.

C’est également un réseau de gènes que nous cherchons à construire pour disséquer les mécanismes de la plasticité phénotypique. Nous avons tout d’abord identifié le cœur d’un réseau de régulations géniques qui contrôle la plasticité de la pigmentation en réponse à la température chez la drosophile5. Pour compléter ce réseau, nous avons réalisé des analyses transcriptomiques de l’épithélium de femelles élevées à différentes températures. Nos expériences ont révélé que le gène tan, qui code une enzyme de pigmentation, est un effecteur majeur de ce réseau et que l’activité de son enhancer t-MSE est modulée par la température6. Le gène yellow, qui code une autre enzyme de pigmentation, est impliqué dans une moindre mesure dans la plasticité de la pigmentation7. L’expression de régulateurs de tan, les gènes bab1 et bab2, est sensible à la température8. La plasticité transcriptionnelle de tan est donc au moins en partie une conséquence de celle de bab1 et bab2. Or, l’activité d’un enhancer des gènes bab1 et bab2 est également sensible à la température et cela est en partie dû à sa régulation par la protéine Hox Abdominal-B8. Les gènes bab1, bab2 et Abd-B jouent ainsi un rôle central dans le réseau de régulations géniques de la plasticité pigmentaire. Par des expériences complémentaires (crible simple hybride dans la levure, crible génétique ciblant des facteurs de transcription et des régulateurs de la chromatine, normes de réaction), nous avons identifié d’autres gènes impliqués dans la pigmentation abdominale et parmi ceux-ci des régulateurs de tan sensibles à la température. Des expériences d’épistasie nous permettent de positionner l’ensemble de ces gènes dans le réseau de régulations géniques de la plasticité pigmentaire. Notre objectif est de modéliser ce réseau. Par ailleurs, nous avons montré que de la variation génétique dans t-MSE et dans un enhancer de bab1 et bab2 modulait la pigmentation dans les populations naturelles 8,9,10. Le fait que ces enhancers médient l’effet de l’environnement6,8 et accumulent de la variation génétique avec un impact fonctionnelpose la question fondamentale des liens entre plasticité phénotypique et évolution11. Enfin, nous avons montré le rôle des contraintes développementales liées à la mise en place des muscles du vol sur les patrons de pigmentation12. De telles contraintes pourraient également avoir un impact sur l’évolution.

  • 1Debat, Bloyer et al. (2011) PLoS Genet 7, e1002314
  • 2Dupont et al. (2015) Epigenetics & Chromatin 8, 18
  • 3Dardalhon-Cuménal, Deraze et al. (2018) PLoS Genet 14(7) e1007498
  • 4Coléno-Costes et al. (2012) PLoS Genet 8, e1003006
  • 5Gibert et al. (2007) PLoS Genet 3, e30
  • 6Gibert, Mouchel-Vielh et al. (2016) PLoS Genet 12, e1006218
  • 7Gibert et al. (2017) Sci Rep 7 :43370
  • 8De Castro et al. (2018) PLoS Genet 14(8) e1007573
  • 9Gibert, Blanco et al. (2017) Genome Biol 18(1)
  • 10Endler et al. (2018) Mol Ecol 27
  • 11Gibert (2017) Dev Genes Evol : Aug 6
  • 12Gibert et al. (2018) Sci Rep 8(1) : 5328

Projets

Homéostasie et plasticité développementales utilisent-elles des processus communs ? Si c’est le cas, quelles peuvent en être les conséquences dans un environnement fluctuant ? Quels sont les facteurs de l’environnement qui les perturbent ? sont les questions qui animeront notre recherche future.

Collaborations

  • Dr. Vincent Debat, UMR7205 Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité (ISYEB) MNHN, Paris - Control of developmental noise, geometric morphometrics.
  • Dr. Bart Deplancke, EPFL, Lausanne, Suisse - Identification of direct regulators of tan using automated yeast simple hybrid.
  • Pr. Stéphane Le Crom, Genomic Paris Centre, ENS, Paris - Transcriptomic and epigenomic analyses. 
  • Pr. Bruno Lemaître, EPFL, Lausanne, Suisse - Pigmentation and immunity.
  • Dr. Raphaël Margueron, UMR3215 Developmental Biology and Genetics, Institut Curie, Paris – The Drosophila RPL12 methyltransferase.
  • Dr. Christian Schlötterer (Vetmeduni, Vienna, Austria): Natural variation for pigmentation.
  • Pr. Hédi Soula, Centre de Recherche des Cordeliers, UPMC – Modeling pigmentation gene networks.