Evolution à deux vitesses au sein d’un génome

A l’intérieur d’un même génome de levure, deux mécanismes évolutifs différents peuvent coexister, comme vient de le montrer pour la première fois une collaboration entre les équipes de Gilles Fischer (IBPS) et de Joseph Schacherer (Université de Strasbourg).

L’évolution est un processuscomplexe qui résulte notamment de l’accumulation de mutations ponctuelles (mutation d’une base de l’ADN) mais aussi d’échanges de fragments entiers de chromosomes, par exemple lors des divisions cellulaires. Pour tenter de décrypter ces mécanismes évolutifs, les équipes de Gilles Fischer1 et de Joseph Schacherer2 ont séquencé et comparé les chromosomes de 28 souches de levures appartenant toutes à la même espèce, Lachancea kluyveri.3

« Nous avons choisi cette espèce car son génome, composé de 11 millions de paires de bases réparties dans 8 paires de chromosomes, présente une particularité remarquable : un fragment d'environ 1 million de paires de bases est beaucoup plus riche en bases G et C que le reste du génome », explique Gilles Fischer. Grâce à l’étude comparée des 28 génomes, les chercheurs ont pu retracer l'origine et l’histoire de ce chromosome.La comparaison des séquences a permis de montrer que cette région est présente chez toutes les souches et donc que son origine a précédé la diversification de l'espèce. Elle a également permis de calculer les taux de mutations sur l’ensemble des chromosomes. Il est ainsi apparu que malgré des taux de mutation et de recombinaison de la région riche en GC plus élevés et plus biaisés vers l'accumulation de bases GC que ceux du reste du génome, la composition globale en bases GC de ce fragment est en train de diminuer! « C’est une indication forte que le fragment riche en GC proviendrait d'un transfert depuis une espèce différente, inconnue pour l'instant, mais proche d'un point de vue évolutif », ajoute Gilles Fischer. Cet événement naturel, appelé introgression, pourrait être qualifié de'super modification génétique' qui serait à l'origine de l'espèce actuelle appelée L. kluyveri. Ce type d'événement est très fréquent au cours de l'évolution. Au cours de ce transfert, qui se serait produit il y a 20 000 à 150 000 ans, le chromosome étranger, riche en GC, aurait "simplement" remplacé le chromosome original, plus pauvre en GC. Depuis cette époque, ce grand morceau de chromosome étranger a conservé des taux de mutation et de recombinaison différents de ceux du génome receveur. La coexistence de deux régimes mutationnels distincts au sein d'un même génome n'avait encore jamais été décrite. Cette coexistence explique notamment que la différence de composition en bases A, T, G et C soit toujours visible à ce jour. « Nous avons découvert qu'un transfert naturel de chromosome entre espèces différentes a permis de faire coexister au sein d'un même génome deux modes distincts d'évolution pendant plusieurs dizaines de milliers d'années », conclut Gilles Fischer. Reste à comprendre quel pourrait être le rôle biologique de cette évolution à deux vitesses au sein du génome, en d’autres termes, pourquoi cette coexistence aurait été conservée au cours de l’évolution.

1.Equipe Biologie des génomes (IBPS).

2.Equipe Variation intra-spécifique et évolution des génomes. (Université de Strasbourg).

3.Population genomics reveals chromosome-scale heterogeneous evolution in a protoploid yeast. Friedrich A. et al., Mol Biol Evol. (27 octobre 2014).

Contacts :

IBPS : commibps@upmc.fr

Gilles Fischer : gilles.fischer@upmc.fr